Débat « Financiarisation de l’immobilier, son impact sur l’évaluation »
jeudi 6 octobre 2016 après le cocktail à la cité international de Lyon
ENTRÉE GRATUITE
Cette tribune s’inscrit comme un élément du débat qui sera organisé, en marge des Rencontres nationales de l’expertise immobilière, le jeudi 6 octobre 2016 intitulé “Financiarisation de l’immobilier, son impact sur l’évaluation”.
Débat qui réunira Maurice Delécole, past président du Comité d’application de la Charte de l’expertise, expert judiciaire et Stéphane Imowicz, actuel président du Comité de la Charte et dirigeant de la société d’expertise Ikory et sera animé par Jean-Marc Roux, directeur de l’Institut de formation et de recherches sur l’évaluation immobilière.
Par Jean-Michel CIUCH, et Laurent LEPREVOST, Co-présidents de l’association Valiew
La concentration entre les mêmes mains des activités de transaction, d’évaluation, de gestion, de conseil et d’étude nuit à l’indépendance de l’expert, au fonctionnement des marchés et in fine à la qualité d’analyse des risques immobiliers. C’est pourquoi l’association Valiew, qui défend les experts français et indépendants en évaluation immobilière, exige des pouvoirs publics et des autorités de contrôle un assainissement éthique profond des pratiques actuelles.
Une concentration dommageable
L’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, modifie l’article L. 313-20 du Code de la consommation et précise que l’évaluation d’un bien immobilier doit être réalisée par un expert justifiant de sa compétence professionnelle et indépendant du processus de décision d’octroi du prêt afin de fournir une évaluation impartiale et objective et qu’il soit fait application de normes d’évaluation fiables. Ces normes sont notamment préconisées par la directive européenne n° 2014/17/UE et agréées par la Banque centrale européenne dans son avis du 5 juillet 2011.
Le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) a agité récemment le chiffon rouge d’une survalorisation des prix de l’immobilier d’entreprise (jusqu’à 30 % en Ile-de-France). Le rapport du HCSF, dans le sillage des réactions d’autres institutions financières comme la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France, marque aussi une véritable prise de conscience du poids économique et financier de l’industrie immobilière.
Le parc immobilier français pèse plus de onze mille milliards d’euros. Compte tenu des considérables enjeux économiques et financiers sous-jacents pour les ménages, les banques, les entreprises et les acteurs publics, sa bonne estimation est donc primordiale. Et il est essentiel que ce travail d’évaluation s’appuie sur une analyse indépendante, pointue et objective.
Or, l’activité d’évaluation est désormais en bonne partie contrôlée par quelques puissants “ensembliers”, multinationales étrangères pour l’essentiel. Les conséquences s’avèrent néfastes pour le marché immobilier et l’appréhension de ses risques. Le cumul chez ces groupes des activités d’évaluation, d’études, de conseil immobiliers, financiers ou fiscaux, de certification des comptes, de gestion et de transaction est, en effet, source de multiples conflits d’intérêts, les activités de conseil et de transaction étant, de très loin, les plus rémunératrices.
Depuis plus d’une décennie, le fonctionnement du marché immobilier est soumis à leurs impératifs commerciaux et financiers. La maîtrise de l’information leur a permis de développer un discours commercial souvent résolument optimiste faisant fi de la réalité et non conforme à l’intérêt général. Il n’est donc pas étonnant que ces mêmes acteurs aient rejeté les conclusions du HCSF mettant en exergue l’existence de conditions d’une bulle immobilière.
Un coût élevé pour la collectivité
L’analyse de nombreux décideurs privés (banques, investisseurs, entreprises) et publics (collectivités locales, Etat) a ainsi été faussée. La manipulation des données, elles-mêmes insuffisamment complètes et vérifiables, a empêché nombre d’entreprises de pouvoir capter à leur profit du pouvoir d’achat et d’investissement. Elle a conduit des maires, dans les grandes métropoles régionales, à développer bien plus que de raison le parc d’immobilier d’entreprise sur leur commune au détriment d’autres destinations, dont le logement devenu un produit financier banalisé et décrié.
Ce discours a contribué à amoindrir notamment l’attractivité et la compétitivité de l’Ile-de-France, 1ère économie régionale européenne, et à obérer son avenir social, économique, immobilier et démographique.
Le coût est très élevé pour la collectivité, fruit de deux crises immobilières majeures qui se juxtaposent désormais:
– en immobilier d’entreprise et notamment en bureaux, avec une offre désormais structurellement surabondante et une bulle se chiffrant en dizaines de milliards d’euros que la mauvaise conjoncture économique alimente ;
– en immobilier résidentiel, par une pénurie catastrophique de logements résultant principalement d’un détournement spéculatif de plusieurs millions de m² de droits à construire au profit de l’immobilier d’entreprise. Cette pénurie fait fuir sociétés et ménages souffrant d’un “mal vivre immobilier” croissant.
Par ailleurs, l’évaluation et la gestion des actifs immobiliers détenus par les sociétés soumises à des normes règlementaires, plus particulièrement celles faisant appel public à l’épargne, sont contrôlées, dans la grande majorité des cas, par quelques groupes avec la bienveillance de certains commissaires aux comptes. Ceci n’est pas sain d’autant que l’importation en France d’une approche anglo-saxonne de valorisation purement financière dématérialisant et souvent survalorisant l’immobilier a exclu les fondamentaux économiques de l’analyse. L’alerte récemment lancée par le Haut conseil de stabilité financière s’avère une conséquence directe de ce dérèglement méthodologique.
Enfin, il n’est pas plus sain de constater que des banques intègrent leurs experts immobiliers internes dans le processus général de décision d’octroi de prêts, experts salariés qui, bien entendu, ne disposent, dans ce cadre et dans la pratique, d’aucune indépendance réelle de jugement.
Un indispensable retour à l’éthique
En conséquence, dans l’intérêt de l’économie nationale et des territoires, l’association Valiew exige un assainissement éthique profond qui passe notamment par :
1.- L’obligation d’une stricte indépendance juridique entre les experts en évaluation immobilière et les sociétés exerçant les activités de transaction/gestion ou les groupes intégrant ces activités, certains d’entre eux ayant une activité principale bancaire. Cette indépendance doit être plus particulièrement imposée par les organes de contrôle que sont l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle des assurances ou en tout état de cause par les pouvoirs publics, aux sociétés soumises à des normes règlementaires strictes, notamment dans le cadre du financement bancaire, de l’épargne immobilière règlementée, dans l’intérêt des épargnants et investisseurs.
2.- Le contrôle de la règlementation des métiers de l’immobilier exercés sur notre sol, plus particulièrement celui des experts en évaluation et de la labellisation de ses acteurs.
3.- L’instauration par les pouvoirs publics de la transparence de l’information, gage d’une relance forte de l’économie immobilière. Cette transparence doit s’accompagner de l’obligation de la publication des baux commerciaux et d’habitation ainsi que d’un libre accès aux transactions locatives et à la vente.
4.- La nécessité de confier à une Institution publique nationale indépendante la réalisation d’analyses critiques et objectives des marchés immobiliers.
Jean-Michel CIUCH est directeur général Immo G Consulting. Il a exercé jusqu’en 2009 la fonction de directeur de l’observatoire immobilier du Crédit foncier.
Ancien de Crédit foncier expertise, Laurent LEPREVOST est directeur général Galtier Valuation, première société d’expertise indépendante.